Un petit bateau en papier (ou un an de régulation des télécoms)
Date 17 August 2016 Tags télécoms régulation BERECThis is an automatic acknowledgment of the receipt of your email. Thank you for your contribution to the NN Consultation. The BEREC Office team.
Nous sommes le 18 juillet 2016, il est 10h50 et je reçois le message automatique du serveur mail du BEREC.
Ce mail vient couronner quelques six mois de travail acharné. Il y a un petit côté sec, après des heures et des heures sur le dossier, à juste recevoir un mail d'une ligne et demie. Et pourtant : wow, on l'a fait.
Petit quota, gros dossier
Je suis partie de rien. Sans vouloir répéter ce que j'ai écrit par ailleurs, je dois au lecteur quelques éléments de contexte. Au moment où j'ai commencé à m'intéresser au dossier « régulation des télécoms » pour la Fédération, mon expérience en la matière est nulle, au point que l'on a d'abord essayé de me dissuader, arguant que je n'avais pas le profil…
Bon, il se trouve que je suis terriblement têtue (et dotée d'une curiosité intellectuelle intarissable, on se demande bien ce qui m'a poussée à faire de la recherche, hmm…). Résultat : j'y suis allée quand même. J'ai commencé à lire sur la question au début de l'été dernier (ça ne fait donc qu'un an, hé oui, que je suis sur ce dossier !). Du coup –et c'est ce qui motive ce billet– je mesure le chemin parcouru. Au nom de la Fédération j'ai envoyé une réponse à une consultation du BEREC, au contenu de laquelle j'ai largement contribué. J'ai l'impression d'avoir gagné deux niveaux d'un coup.
Mais vous allez me dire : pourquoi la régulation des télécoms ? et pourquoi ne pas rester sur le dossier qui m'occupait jusqu'ici à la Fédération, à savoir la communication, censé être plus « facile » à tenir pour moi, puisque j'avais essentiellement fait des études dans ce domaine ?
Il y a deux raisons principales à l'obsl'intérêt que je porte à ce dossier. La première est la plus évidente : l'enjeu politique du dossier pour l'association. En deux ans au bureau de la Fédération FDN, on apprend à connaître ses membres, leurs motivations, leurs méthodes, les technologies qu'ils déploient. On repère aussi, assez rapidement, les enjeux en termes de politique et de société de ces activités, parce qu'on a une sorte de regard englobant, à prendre des nouvelles régulières des trente associations. On comprend que ces FAI très divers sont en fait mûs par des buts similaires, aux prises avec des enjeux similaires. J'ai beaucoup commencé par répéter ce que disait Benjamin Bayart, au début, quand je parlais de ce que je faisais dans la Fédération. Puis j'ai fini par affiner ma réflexion, par me demander où est-ce que je voulais emmener l'association, dans quoi je voulais mettre de l'énergie, qu'est-ce qui était important à mes yeux dans le travail de l'association.
Hé bien, la régulation, c'était un des dossiers qui m'avaient paru les plus importants à ce moment-là. Notamment à cause de l'enjeu sur la collecte fibre, qui est plus ou moins vital, à long terme, pour de tous petits opérateurs comme les nôtres, qui ne peuvent pas s'offrir, la plupart du temps, ce qui est actuellement au catalogue, dans un contexte où l'on sait qu'on va éteindre le cuivre un jour. Dans nos leviers d'action, il y a s'adresser au régulateur [1] ! Comme c'est quand même un dossier ardu, à part Benjamin, peu s'y intéressaient. J'ai donc d'abord été motivée par une pensée du type : « bon, ce truc, c'est important pour l'association, il faut le faire, essayons de mettre de l'énergie là-dedans ».
L'autre raison est moins évidente : paradoxalement, malgré l'aspect immensément rébarbatif du dossier (malgré tout le respect que je dois aux administratifs qui écrivent les documents soumis à consultation, ce n'est tout de même pas un roman de Hugo avec de belles phrases et des rebondissements…), le mélange de politique, d'économie, de réseau, l'impact que les décisions des différentes autorités sur notre société, m'ont donné envie de m'y pencher. Je trouve des liens intéressants avec des notions de philosophie et de sociologie que j'ai étudiées, ça me permet de les mettre en perspective différemment et de les appliquer à quelque chose d'important pour moi en termes d'engagements militants. Je trouve ça vraiment intéressant, en fait, même si de loin ça ressemble à du masochisme de doctorant post-prépa :D
Puis, c'est pour moi l'occasion d'acquérir des connaissances dans un domaine que je ne maitrise pas, malgré mon faible bagage techniques et mathématique, parce que justement, ça demande des connaissances techniques, mais pas seulement–et j'adore apprendre. Je me disais que j'avais trouvé une fenêtre intéressante par où passer pour apprendre des choses sur le réseau.
Un travail solitaire
Ça se solde par un travail ardu et assez solitaire. En effet, pour commencer à avoir des questions, même de base (« pourquoi c'est fait comme ça, ça n'a aucun sens ! »), il faut ingérer à peu près un quintal de vocabulaire et de notions de base en télécoms et en économie. Les acronymes métier, ils ne sont pas tous expliqués dans un joli lexique en préambule des documents de l'Arcep. Ma première lecture d'un document soumis à consultation m'a rappelé quand j'ai commencé à lire des livres un peu durs pour mon âge à dix ans. J'essayais de comprendre les mots grâce au contexte, puis, quand c'était trop obscur, j'allais consulter le gros Larousse familial (qui, lui, avait la réponse). Là, comme des phrases entières semblaient ne pas avoir de sens pour moi, j'ai consulté Internet à la place du Larousse. Soient ici remerciés les copains des télécoms qui ont dispensé, avec force pédagogie et patience, des antisèches et des explications.
N'empêche que c'est tout sauf facile d'accès.
Une grosse marche à passer
En fait, des fois, je me demande si vous avez une idée de la masse de boulot bénévole que ça demande, de répondre au BEREC.
— Benjamin Bayart (@bayartb) 18 juillet 2016
Dans ce tweet à dérouler, Benjamin explique bien la grosse marche à passer pour produire une réflexion sur ce dossier. Les heures de travail ingrat que ça demande. C'est solitaire, parce que personne ne peut rattraper pour toi ce qu'il te manque comme notions, c'est à toi de bosser jusqu'à ce que ça rentre. 80% du travail au début, c'est ça. Et comme c'est très peu visible (et dur à expliquer aux autres) comme travail, c'est pas forcément quelque chose dans lequel on est soutenu. Personne ne comprend bien ce que tu fabriques, du coup, ils laissent faire sans rien dire. C'est normal –je ne blâme personne pour avoir manqué de soutien, mais du coup voilà, ça donne un sentiment de bénévolat sur une île déserte un peu.
L'autre aspect un peu difficile du travail, c'est la position d'élève. Quand on ouvre le dossier régulation du haut de son expérience nulle en la matière en même temps que quelqu'un qui lui en a quinze, c'est frustrant au début. Parce qu'on commence par tout comprendre de travers. Parce qu'on n'a pas telle et telle notion en économie. Parce que ça, il faut le mettre en rapport avec un truc qui s'est passé à l'époque Silicani y'a 6 ans. Ah. On se sent comme un petit bateau en papier posé dans un rapide. Est-ce que je vais vraiment rattraper assez de terrain pour être utile ? Il faut donc accepter d'être un élève. De se voir tout son texte entièrement réécrit sur le pad, et de passer au-dessus du premier sentiment, assez naturel, de vexation, pour apprendre. C'est frustrant comme en prépa, en fait. Comme j'avais déjà vécu ce genre de position d'élève-qui-ne-sait-rien-face-au-prof-qui-a-vingt-ans-de-bouteille, ça a été. Quelqu'un moins rompu à la vie universitaire aurait peut-être abandonné à force de se sentir nul.
Voilà. Tout ça crée des moments de doute (« est-ce que je fais quelque chose d'utile puisque ça ne semble intéresser personne ? »), de baisse de motivation. Heureusement que ça m'intéressait vraiment, parce qu'il faut s'accrocher.
Aller jusqu'au bout
« Mais, t'es bien à la tête d'un groupe de travail [2], tu n'étais pas seule à bosser ?! ».
Non, je n'étais pas toute seule. J'ai ressenti des grands moments de solitude, mais j'ai en fait été soutenue. Tout d'abord par les fédérés qui avaient une petite idée du travail à fournir et qui laissaient des petits messages du type « Je ne capte pas grand-chose à ce que tu fais, mais je te fais confiance, continue <3 ». Que tous ceux qui se reconnaissent soient remerciés. C'était rien, mais ça m'a bien remontée dans ces moments où j'avais l'impression d'être sur une île déserte.
Ensuite, je dois souligner –car l'une des grandes réussites de cette campagne est l'émergence d'un groupe de travail effectif– Le texte de la consultation est le résultat d'un vrai travail d'équipe. Nous avons été plusieurs à contribuer à sa rédaction, plusieurs à relire. Le fait de réaliser, la dernière semaine avant le rendu, que les bénévoles du groupe Régulation se relayaient sur le pad de travail en faisant quasiment les trois huit m'a énormément motivée. Je suis très fière de notre petite équipe !
La recherche embusquée
Cette aventure a eu un effet de bord un peu inattendu : ça m'a fait réfléchir sur des thématiques éloignées de mon sujet de recherche (l'image de la ville sur les réseaux sociaux, en gros), mais ce pas de côté a fait émerger des réflexions, sur la présence d'un réseau dans la ville, sur la manière dont ce réseau informait la ville, sur la manière dont certaines décisions du régulateur peuvent avoir une influence sur comment cette image de la ville se forme, comment les discours sur la ville émergent. Bref, en gros ça a nourri d'intéressantes réflexions en marge de ma thèse, que j'ai bien envie de poursuivre !
Me voilà à la fin de mon petit bilan. Même si ça n'a pas été facile, je ne suis pas fâchée du chemin parcouru. J'ai bien fait de tenir bon. Je suis sortie de cette campagne épuisée, mais terriblement fière. Maintenant que je suis reposée, je peux attaquer une nouvelle année de thèse et de régulation, avec cette idée en tête, dont je voulais un peu rendre compte ici : bordel, c'est possible d'arriver à produire ça. Je pense que c'est pas très loin de ce que raconte Bram ici. Une consultation du BEREC, la signature d'une décision au Parlement Européen, ça semble dingue, et puis en fait, avec suffisamment d'énergie et de ténacité, c'est possible. Voilà.
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Notes :
[1] J'ai compris ces enjeux-là avec une conférence de Benjamin à Pas Sage en Seine. J'ai lu des SDTAN à l'époque. Je suis un peu déçue de ne pas avoir pu consacrer plus d'énergie et de temps sur ce dossier à ce moment-là, mais la vie est ainsi faite.
[2] L'AG de la Fédération m'a officiellement propulsée au poste de « touillette à rcep », c'est-à-dire de tête de groupe de travail sur le groupe Régulation. Nous sommes trois-quatre personnes dans ce groupe de travail.
Les avis sur ce billet
Merci pour ce travail, fort conséquent, et tout autant nécessaire <3
de fabien le 18/08/2016
C'est cool de visibiliser l'effort que représente ce travail sur la régulation, que peu de monde perçoit. Lachez rien ! La fédé a besoin de gens pour faire ce travail ! <3
de bikepunk le 19/08/2016
Bravo, et au nom de la collectivité, merci !
de Pierre Col le 07/06/2018